La culpabilité : le verbe « culpabiliser » est entré dans la catégorie des mots interdits. Or, avec la conscience qui monte à propos des impacts de nos actes sur le vivant, les échanges tendus où s’accusent réciproquement les parties sont susceptibles de devenir légion.
« Je mange de la viande, mais toi tu as une grosse bagnole » lance l’un…
« Certes j’ai un maison de campagne, mais toi tu prends sans arrêt l’avion » lance l’autre…
Ces accusations vont grossir au fur et à mesure que la conscience se développe, sauf si un immense mouvement d’empathie se glisse dans les conversations, ce qui n’est pas gagné.
Le problème est que nous sommes tous coupables, à des degrés divers bien sur : le richissime humain qui prend son jet privé pour aller camoufler des milliards dans une ile paradisiaque et éviter la fiscalité (pour rappel, il est couramment admis et publié que plus de 30 000 milliards de $ sont dissimulés dans les paradis fiscaux, c’est-à-dire environ un an et demi de PIB des Etats-Unis) est plus coupable que le contribuable de la classe moyenne française, lui-même plus coupable que le paysan du Bangladesh. Si « le système » est le plus grand coupable devant l’éternel, le souci c’est que « le système » n’existe pas (relisez Sapiens de Yuval Noah Harari). Le système est un ensemble de conventions entre humains… retour à la case départ : nous.
Nous sommes tous embarqués dans un vaisseau devenu fou de puissance, de consommation, de destruction de la source de vie.
La culpabilité ne peut se comprendre que lorsque la conscience a fait son chemin. « Oeil pour oeil, dent pour dent » a été longtemps la règle, avant que ne soit proposé un chemin où la loi s’interpose et la justice cherche des solutions moins sanglantes. « Tu ne tueras point » est à peu près admis aujourd’hui sur la planète mais il est probable que cette règle était diversement mise en oeuvre il y a 200 000 ans. L’humanité est sur un chemin d’élévation de conscience, chemin escarpé !
Sur le sentier de la responsabilité, l’élévation de la conscience est la première étape. Il est amusant de constater que le post qui a fait le plus de vues de mes publications linkedin (plus de 120 000) est celui où j’ai partagé la prise de conscience d’une faute commise en l’an 2000 (j’ai été un prédateur inconscient et naïf). Il est facile après l’an 2020 de m’auto accuser d’une faute datant de l’année 2000 alors que je n’avais pas l’éveil suffisant sur le sujet de mon impact carbone. Juger sans nuances les fautes du passé avec ce que l’on sait au présent est un exercice injuste.
Quand la conscience de la responsabilité sur l’impact carbone du style de vie prend forme dans la réflexion intérieure, il faut traverser de terribles défis intimes et des choix confrontants. La plupart des humains n’échappe pas à la conscience de la responsabilité, et c’est heureux, alors que, selon ses propos, ce ne fut pas le cas d’Eichmann qui « au procès n’a semblé ressentir ni culpabilité ni haine et présenté une personnalité tout ce qu’il y a de plus ordinaire ».
Une fois conscient de l’impact sur le vivant lié au mode de vie, que faire : arrêter de manger de la viande, arrêter de se déplacer avec tout véhicule qui consomme de l’énergie, arrêter de se chauffer, de se vêtir, arrêter de faire des enfants, retourner dans une grotte (qui va vite être surpeuplée…). S’il existe des nuances entre « arrêter » et « diminuer », les humains vraiment conscients ne peuvent pas échapper à cette terrible négociation à mener avec leur culpabilité.
Alors se pose la question : comment puis apprendre à négocier avec la culpabilité ?
Nous devons ré inventer notre imaginaire pour mieux vivre ensemble et créer un monde désirable et durable. Nous devons laisser au bord du chemin de nombreuses certitudes et habitudes, reconnaitre avec bienveillance et sans complaisance que nous nous sommes trompés et passer aux actes. Comment ? Par quoi commencer ? Comme le dit la chanson « chacun sa route, chacun son chemin, passe le message à ton voisin ».
Ce qui devient difficile à accepter, c’est le « je n’en ai rien à foutre ». Ce qui est compréhensible d’entendre, c’est le « je ne sais pas comment m’y prendre ». Aucun d’entre nous n’est supposé devenir un héros, un ascète, un extrémiste de la lutte pour la décarbonation.
En revanche, nous sommes tous appelés, au fur et à mesure que notre conscience s’élève, à regarder notre culpabilité en face et à négocier avec elle. Ce dialogue intérieur peut être ravageur. Il est probablement nécessaire de le mettre en mots, d’écouter les autres expériences, de parler, pour baisser la tension, l’anxiété, l’auto-dénigrement. Le Verbe est la voie pour aller mieux, pour s’écouter, se comprendre, garder confiance contre les agressions de la culpabilité, et finalement passer à l’action.
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