Quand on raconte son histoire, il n’est pas rare d’occulter des chapitres : je me suis fait virer, plusieurs fois. Derrière les chocs ou traumatismes, chaque fois, se trouve un enseignement…
Frais émoulu de mon diplôme MBA de l’EMLyon, 29 ans, les mollets bien gonflés par l’helium injecté avec talent en école de commerce, je cherche mon stage de fin d’études. Mon rêve est d’entrer chez Apple. Je le jure, je ne fais jamais ça, parce que ça me terrorise, mais cette fois-là, j’ai osé : je cherche le nom du directeur régional, je me débrouille pour trouver son numéro direct (à l’époque pas de téléphone portable), et je l’appelle : « I love Apple, je rêve d’Apple, je veux travailler pour Apple, je suis né pour Apple, et blablabli et blablabla, … ». Quelques semaines plus tard, je suis embauché par Apple…
Youpi, je suis embauché chez Apple
Pourtant, lors de l’entretien final dans le magnifique siège du sud parisien, au moment où mon interlocuteur me propose le contrat en me disant : « signe là », je réponds, fier comme tout, « j’ai besoin de réfléchir ». En effet, dans ma parallélépipédique mallette d’une mode disparue, est camouflé un autre contrat de travail. Ce matin même, Computervision m’a fait un pont d’or : 400 000 F par an (avec certes des objectifs commerciaux à atteindre, mais ça, ce sont les petites lignes à regarder plus tard). J’y crois à peine. Le montant du salaire annuel est mirobolant pour l’époque. Pendant ce temps, l’officier des ressources humaines d’Apple est défait : « Comment ? Tu ne signes pas tout de suite ? Ca ne nous arrive jamais ! »
Comme dirait Coluche, je suis fier comme un bar tabac !
Mon jeune poitrail se dresse, les diplômes des bonnes écoles attirent les employeurs. Je peux faire la fine bouche. L’orgueil est bien stimulé, merci. Je pars pour un weekend de voile avec des copains : que la mer annonce son verdict ! J’écoute mon ressenti du moment en regardant les vagues de la Méditerranée se fendre sous l’étrave. Plus que l’appel des gros Francs promis, ce sera Apple. Le rêve de ma vie se réalise, même si le salaire est presque 2 fois moindre. C’est l’amour, mour, mour ! (on en ferait presque une chanson). Nous en sommes en 1989, Apple est loin d’être le géant qu’il est devenu, et devant moi se prépare un avenir radieux.
De l’embauche à l’embûche
Quelques semaines plus tard, je suis à pied d’oeuvre. Très rapidement, je me fais envahir par mes tergiversations intérieures : j’ai été embauché comme technico-commercial et Apple a envie de connecter les Macintosh au grands ordinateurs DPS7 (pour les connaisseurs only) de Bull, d’où j’arrive. Beurck, la tache technique ne me convient pas. Pour l’anecdote, quand j’ai démarré dans l’informatique chez Bull, l’une de mes missions était de substituer des « meubles » (de la taille de ceux que l’on peut voir sur la photo) qui contenaient 4M octets de mêmoire, par des boites moins volumineuses. Serais-je un dinosaure ?
Bref, je fais un peu la gueule au bureau. Fin du 2ème mois, le directeur régional me propose un entretien pour faire le point d’avancement de mon projet. Je me prépare, tout en prévoyant de demander une évolution de mon boulot vers une mission plus commerciale.
Nous n’avons guère le temps de regarder mon agenda : le directeur régional m’annonce que je termine ma période d’essai pour aller au bout de ce qui me sert de « stage de fin d’études », mais que ce sera la fin. Boum, grand coup sur la tête, l’orgueil, le rêve. Je sors abasourdi. Le lendemain, dans un avion qui m’emmène à Toulouse, je décide en mon fors intérieur : « maintenant, je vais leur faire regretter leur décision ». Ce défi personnel aura sa conclusion heureuse le jour de mon départ quand le directeur régional me souffle « nous nous sommes peut-être trompés en te virant ». Apple, ce ne sera pas pour moi, même si un clin d’oeil a failli m’y reconduire 30 ans plus tard (j’en parle dans l’épisode 2 de « bref, je me suis fait virer »).
Apple pas pour moi, je me suis fait virer !
Même si je n’ai pas toujours su l’appliquer par la suite, j’ai retenu une leçon : le choix du métier est très important ! L’enseigne Apple m’a hypnotisé, mais le métier de technico-commercial n’était pas pour moi. Combien sommes-nous à tomber dans ce panneau : travailler pour un beau logo et faire un métier qui nous déplait. Combien sommes-nous à croire que le magnifique nom de l’entreprise pour laquelle nous travaillons est une partie de nous-même, ce qui fait de nous des coqs dans les soirées mondaines : « vous comprenez très cher, mon talent s’exerce chez LAMPION international incorporated, unlimited et anonymous de surcroit ! »… « Non ? »… « Si »… « Très impressionnant, indeed !!! »
Ces faire-valoir embrument-ils nos décisions, nourrissent-ils nos egos en nous empêchant, partant, de choisir vraiment notre chemin de vie ? Qui suis-je si ne ne suis pas rattaché à un machin ? Quelle est ma place, celle où je peux exprimer ma créativité, mon moteur singulier, ma touche unique ?
Je me suis fais virer et le coup a été difficile à digérer. Pourtant, à bien y regarder, n’avais-je pas moi-même mis les ingrédients sur la table pour que la soupe tourne au goût amère ? Comment éviter de tomber dans ces pièges ? Comment choisir son bon chemin ?
Merci Laurent, histoire intéressante.
Je fais le parallèle avec l’authenticité, très à la mode aujourd’hui mais rarement vécu (ironiquement).
Yep, j’ai l’avantage d’avoir fait plein d’erreurs (et réussi quelques trucs)… Ce n’est pas toujours de la faute des autres…
Bonjour ,
Ce poste me parle …
Et d’autant plus que j’ai vécu la même histoire à la virgule près avec la « pomme », et le choix de ce qui brille plutôt que ce qui sert…
Etonnant… la vie déroule ses leçons, qu’on apprend pas toujours très bien d’ailleurs.
Laurent,
Excellent cette histoire.
Très drôle.
Il m’est arrivé la même chose.
J’étais chez HP France avec la proposition de Computervision dans la Delsey !
J’ai l’impression que Computervision a fait des offres à tous les Cesmaliens !
Quand Computervision m’a demandé combien on me proposait ailleurs, j’ai dit 200k€.
Il m’a répondu « c’est ce que vous paierez en impôt chez nous », et m’a sorti sa feuille d’impôt (si, si véridique), avant de me raccompagner (il y tenait) à la station de métro (porte de Montreuil) dans sa Porsche 911 S, la voiture de mes rêves !
Je me suis même dit, car il me proposait de gérer le compte PSA « Arriver chez PSA en Porsche, ça doit déchirer ».
Mais j’ai signé chez HP, et je me suis éclaté !
J’imagine que tu parlais de 200KF et pas K€
Bravo d’avoir résisté aux appels des sirènes. Il parait que l’état d’esprit d’HP, à l’époque, était super…
200 kF bien sûr. L’€ n’existait évidemment pas en 1989 …