Ecoutez cet article en podcast :
Le chef de projet rentre dans le bureau de son boss : « voilà, le budget de 10M$ est dépassé, j’ai échoué, je te remets ma démission« . A la grande surprise du collaborateur dépité, le boss répond :
« je viens de t’offrir une formation à 10M$,
il n’est pas question que j’accepte ta démission !«
Lors d’un entretien que j’ai conduit avec un professionnel français basé au Canada, celui-ci m’expliquait qu’un candidat qui n’a pas fait assez d’erreurs s’entend dire « profil pas intéressant » !
Vous avez remarqué la monnaie d’échange de l’anecdote qui introduit cet article : c’est en $… Pourquoi le $ ?
En Amérique du Nord, l’erreur est perçue comme un apprentissage. Au pays des lumières, le couperet tombe : « vous avez fait une erreur, je vous présente l’addition, vous êtes virés… », « vous avez planté votre création d’entreprise, je ne vous recrute pas », etc… Je me souviens d’une expérience de ce style avec l’un de mes prospects. Souvent mes erreurs se transforment en article de mon blog :-). Notre vision française de l’erreur m’a de nouveau interpellé.
La caricature Amérique/France reste une caricature. La réalité est bien sur plus subtile. Cependant, de ce coté-ci de l’Atlantique, je crois que la relation à l’erreur reste un axe de progrès certain.
Pourquoi ne faut-il pas lire l’erreur comme un verdict définitif, pourquoi le droit à l’erreur offre-t-il la perspective du progrès ?
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de faire l’apologie de l’erreur. Le professionnel qui accumule la même erreur, ne la voit pas ou ne corrige pas le tir doit être, si ce n’est sanctionné, au moins accompagné, formé. Il revient d’ailleurs au manager de souligner la ligne de progrès à suivre. « Errare humanum est » n’est pas nouveau (l’erreur est humaine), ce qui est moins connu c’est la suite « Perseverare diabolicum est » (persévérer dans l’erreur est diabolique).
Si elle n’est ni répétitive, ni intentionnelle, ni roublarde, ni le fruit de la bêtise, on peut admettre que l’erreur est la conséquence d’une tentative, d’une prise de risque, d’une originalité, d’une créativité même. A ce titre, l’erreur construit un nouveau champ de compétence.
Son auteur en tire conséquence si sa lucidité lui permet :
(1) de reconnaitre l’erreur…
(2) d’en tirer une leçon pour l’avenir (apprendre)…
Quand le responsable de l’erreur manque de hauteur de vue pour décoder la situation, il revient alors à son manager d’éclairer sa lanterne. Pourquoi punir quelqu’un qui a tenté, qui s’est mouillé, qui a cru apporter le meilleur en explorant un chemin improbable ? Faut-il rappeler qu’une immense partie des grandes découvertes de l’humanité sont le résultat d’erreurs parfois grossières ?
- Comment Christophe Colomb découvre-t-il l’Amérique ? En se trompant ! Comment nomme-t-il les peuples rencontrés sur les territoires découverts : des indiens ? Il se croit en Inde !
- Comment l’entreprise 3M transforme-t-elle un défaut de création de colle en l’un des produits maintenant sur toutes les tables de travail, le post-it ?
- Combien de fois la science a-t-elle fait des découvertes par hasard, après mille détours improductifs ?
- Avez-vous retenu le geste de service de Mac Enroe au tennis (le dos retourné) ou le geste de coup droit à 2 mains de Marion Bartoli (vainqueure Wimbledon 2013) ? Des fautes de style, des sorties de conventions qui amènent au sommet…
- Comment l’enfant apprend-il ? J’ai lu quelque part qu’il tombe 2000 fois avant de réussir à se tenir debout. Qué stupido ! Comment peut-on faire autant de fois la même erreur !!! Et oui, en se trompant énormément, l’enfant progresse (nb : nous sommes tous passés par là). Pourquoi retire-t-on ce droit à l’enfant devenu adulte, ce qui, accessoirement, congèle bien des « grandes personnes » dans des positions figées, dans l’immobilité et la peur – la peur d’échouer (et ses conséquences) – la peur de sortir de la zone de confort…
Je vous propose de passer « l’erreur » par une grille d’analyse en 6 questions. Je vous propose d’utiliser cette grille pour tirer enseignement de qui a été qualifié « d’erreur » :
1 – L’erreur dont on parle en est-elle vraiment une ? En quoi impacte-elle si profondément le projet ?
Il est tellement facile de faire un diagnostic rapide. Transformer les petits incidents en drame nourrit l’inquiétude générale. Je suis souvent étonné du nombre de fois que, dans le langage commun, j’entends « c’est grave » !
Apprendre à relativiser l’incident relève de la sagesse de management. Quel est l’impact réel, y a-t-il des conséquences aussi essentielles que ça. Ne convient-il pas de prendre 1 ou 2 jours de réflexion ?
2 – On attribue cette erreur à telle personne, en porte-t-elle vraiment l’entière responsabilité ?
C’est un grand classique : erreur = trouver le coupable. C’est parti pour une grande session d’accusation. Là aussi, convient-il de faire preuve d’un peu de circonspection ? Le monde complexe dans lequel nous vivons ne permet souvent pas de définir le responsable. L’erreur n’est-elle pas celle d’un groupe, d’un système, d’un aveuglement ? Le bouc émissaire n’est-elle pas une réponse simple et facile ?
3 – Le « responsable » a-t-il conscience de l’erreur « commise » ?
Là aussi, le job du manager est d’approfondir son analyse. Si responsable il y a (et bien entendu, ça arrive), quel est son niveau de conscience ? Il n’est pas rare qu’en toute bonne foi, quelqu’un fasse une erreur, persuadé d’être dans le vrai. Le travail du chef est alors de l’amener à comprendre les conséquences des actes du collaborateur.
Une manière efficace d’éveiller la conscience est de mettre le « responsable » dans les godasses de celui qui subit l’erreur (le client par exemple) : « si tu étais toi-même le client, que penserais-tu de blablabla… »
4 – Quelles opportunités inédites ou induites cette « erreur » a-t-elle fait émerger ?
On l’a vu plus haut : souvent l’erreur conduit ailleurs. Elle peut conduire à l’amélioration des processus, du service client, de l’organisation, à la clarification des instructions, à de nouvelles fonctionnalités à offrir… Pourquoi a-t-on fait comme cela jusqu’à présent ? Par habitude, par lassitude, par paresse, parce que tout le monde fait comme ça ? L’erreur commise donne-t-elle un signal de changement ?
5 – En « punissant le responsable », prend-on la meilleure décision de management ? Que peut-on faire d’autre ?
C’est Jack Welch, l’ancien patron de General Electric qui disait que bombarder quelqu’un qui s’est trompé est la faute la plus grave qu’un manager peut faire. Les dégâts peuvent être considérables. Il ajoutait qu’il convient davantage, à ce moment-là, de rassurer, d’encourager, donner une autre chance, après l’étape de la mise en conscience bien sur.
Aider un collaborateur en difficulté, c’est aussi un investissement à haut rendement pour le manager !
6 – Qu’est-ce que cette « erreur » souligne sur le modèle de veille et d’anticipation du management ?
Responsable mais pas coupable a dit un jour une ministre. C’est le lot du manager : il supervise une équipe, des projets et par conséquent porte la responsabilité globale. Que fait le manager pour son propre développement personnel ? Que fait-il pour aiguiser la scie (comme dit Stephen Covey) ? Quand est-ce que le manager prend du recul pour s’observer dans l’action et transformer son modèle ?
Le manager doit-il rester éveillé ?
Avez-vous remarqué le texte de la photo de cet article : « always make new mistakes » => faites toujours (!!!) de nouvelles (!!!) erreurs. Tout est dit, non ?
Le chef de projet a remis sa démission. Il pense avoir grillé 10M$. Cette position démontre-t-elle le sens de la responsabilité ? Le boss refuse la démission ! Cela rappelle-t-il que les torts sont probablement partagés ? Peut-on réussir sans prendre de risques ? Innover sans se tromper ? Gagner sans déranger ? Quel impact sur la carrière, la vie même du chef de projet si son boss l’accable, lui colle tout sur le dos (probablement pour se dédouaner – exercice classique du bouc émissaire) ? A votre avis, en refusant sa démission, quel sera le capital confiance entre le boss et son chef de projet pour le prochain défi professionnel ?
Racontez vos expériences, vos réactions en commentant cet article… au fait, qu’elle est la différence entre erreur et faute ? Voir aussi des extraits de ma conférence « le droit à l’erreur«
NB : n’hésitez pas, le seul risque est de commettre une erreur 🙂
Crédit photo : elycefeliz
Je considère que le droit à l’erreur est fondamental pour laisser une liberté à ses collaborateurs, mais également pour garantir leur capacité d’innovation. Pouvoir échouer, c’est pouvoir essayer et donc réussir !
Par ailleurs, l’échec est une formidable source d’apprentissage. Le droit à l’erreur est donc un devoir.
100% d’accord
Bonjour,
Je partage pleinement votre position sur le droit à l’erreur.
Je me permets d’ajouter ceci :
– le risque d’erreur humaine est-il systématiquement pris en compte dans la gestion des risques d’un projet ou d’une entreprise, et même dans la gestion de sa vie au quotidien?
– les erreurs dues au système (processus, organisation, décision, etc.) ne sont elles pas trop souvent imputées aux opérateurs (ou au management intermédiaire)?
– le déni du droit à l’erreur qui conduit à remplacer l’élément défaillant supposé (l’humain) par une machine ne va-t-il pas conduire à une déresponsabilisation accrue, voire à un assujettissement de l’humain à la machine?
Désolé j’ai déjà été bien long sur un sujet que j’ai développé ici : http://emc2p.com/content/le-droit-l-erreur
Encore merci pour votre témoignage sur le droit à l’erreur.
Bonjour emc2p,
très juste ce commentaire… il est souvent facile de s’en prendre à l’humain qui vient de faire une erreur (et donc sont dans une position de faiblesse), que de faire une vraie analyse des causes de l’erreur. Cette analyse amène souvent à d’autres responsabilités que celles initialement observées. Cela peut déranger tout en haut… alors que tout en haut également, on a droit à l’erreur. Si le droit à l’erreur est bien compris, on peut améliorer de nombreuses choses, des processus, et surtout les relations…
Merci de la contribution,
Laurent
faut pas non plus que les responsable d entreprise abuse de ce droit a l erreur , comme l icen ier son employer , et dire oups j ai deoit a l erreur ,
ce droit a l erreur est flou je trouve , mais bon resonnement aussi
andre
Bonjour André,
le bon sens commun dit « l’abus en tout nuit ». Evidemment, il ne s’agit pas d’abuser de ce droit à l’erreur, et différencier l’erreur (non intentionnelle) de la faute (qui est peut être intentionnelle).
Comme on apprend en se trompant, il est important de dédramatiser les erreurs, sinon on ne progresse pas (ni ses équipes)…
Merci du commentaire,
Laurent
Que dire du droit à l’erreur …en médecine ? Qui malheureusement, peut conduire à la mort …et cela n’est point compréhensible pour le commun des mortels …. Pourtant, les Médecins, eux aussi ne sont que des hommes ….qui osent prendre des décisions….
Bonjour Eya,
si c’est une erreur, c’est malheureusement le prix à payer pour le progrès. Les décisions des médecins sont souvent courageuses. Ils peuvent se tromper.
Si c’est une faute (et ça arrive), c’est important de se lever pour dénoncer et lutter. Celui qui commet une faute risque de la refaire – souvent par manque de conscience. En matière de médecine comme ailleurs. Et la faute peut avoir de graves conséquences…
Laurent
Merci Laurent pour cet article qui souligne 2 notions certes liées mais pas identiques :
l’erreur et l’échec.
Il peut y avoir erreur sans échec (heureusement!) et échec sans erreur (pour des raisons extrinsèques).
Droit à l’erreur oui bien sur mais aussi droit à l’échec ce qui est souvent plus difficile .
J’ai la chance d’accompagner par le biais de l’association 60000 rebonds des dirigeants qui ont subi une liquidation judiciaire afin qu’ils puissent se reconstruire psychologiquement et professionnellement.
60000 rebonds œuvre également pour une vision plus positive de l’échec dans notre société.
Je confirme : à partir du moment où on a accepté son échec, qu’on l’a analysé, l’expérience de l’échec devient un atout.
Comme le dit Edgar Grospiron » Je ne conseille à personne d’échouer… mais je conseille à tout le monde de pouvoir vivre l’espèce de résurrection, de renaissance qu’il peut y avoir après un échec. »
A lire sur le sujet « Les vertus de l’échec » de Charles…. »Pépin » (ça ne s’invente pas!)
Plus sur http://60000rebonds.com/
Bonjour Pierre-Jean, je suis 100% d’accord avec ton commentaire, et bien placé pour comprendre ce qu’échec signifie. En effet, l’échec n’est souhaitable pour personne, mais si on s’en sort, on est plus fort. Cela signifie aussi sortir très significativement de sa zone de confort. Car l’échec prend sans doute sa source dans de faux paradigmes qu’il convient de transformer. Merci de ton commentaire.
Merci Laurent
Erreur ou échec conduisent au progrès.
Sous réserve, comme vous le soulignez, que les événements soient vécus en toute conscience.
Je ne perds jamais. Sois je gagne, sois j’apprends.
(Nelson Mandela)
Louis
Merci merci pour la citation de Mandela que je connaissais mais que j’avais oubliée. Je vais la rajouter à la conférence que je fais dans 10 jours sur le « droit à l’échec »…
Merci pour cette marge,
c’est vrai que l’erreur est humaine et pour sanctionner il faut evaluer le niveau d’erreur.
Merci pour toutes ces bonnes infos