Oui courage, fuyez, car il faut du courage quand une sirène déploie langoureusement les charmes de la fortune. Toutes les techniques de communication pour aguicher fonctionnent avec merveille…
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J’allonge la liste ?
En quoi la proposition de fortune est-elle une tromperie dans laquelle nous tombons facilement ? Pourquoi la plupart de ces promesses sont des leurres ? Qu’est-ce qui se cache derrière ces mirages ?
Et surtout, quel est le vrai prix à payer de la liberté ?
Savez-vous pourquoi je m’exprime sur ce sujet ? Je suis tombé dans tous ces panneaux ou presque (j’ai très peu joué au loto).
Ruiné à 58 ans, viré d’une startup pleine de promesse à près de 59, je n’avais pas compris toutes les leçons. Aujourd’hui c’est clair, je sais que la liberté se paie au prix fort, celui de clarifier qui je suis, quel est mon moteur profond, comment ai-je envie de vivre vraiment ? Le prix de la liberté, ce sont plein de tentatives ratées pour quelques réussites d’équilibriste.
La question semble simple : comment trouver l’alignement entre qui je suis et ce que je veux vivre. Le parcours vers la réponse est très sinueux, semé d’embûches et de tentations.
Parcours…
J’écoute mes clients :
- L’une me dit qu’elle n’en peut plus de n’avoir pas de réponses des prospects. Elle relance avec assiduité, l’interlocuteur ne répond pas, fait lâchement le mort. Donner une réponse, y compris négative, semble au dessus des forces de tant de gens. Ma cliente est découragée.
- L’autre me raconte, avec enthousiasme, ce rendez-vous à très fort enjeu qui, si le business ne se réalise pas, ne changera pas sa vie. Il a compris que le mot enjeu peut se décliner « en jeu », qu’il ne vendra pas son âme pour une opportunité, si mirobolante soit-elle.
- La troisième me parle de ses doutes devant une proposition très alléchante, alors que son corps lui renvoie plein de signaux, de malaises. Que faire de ces indications ? Doivent-elles nourrir le doute jusqu’à refuser la proposition ? Ma cliente doit-elle se brancher sur sa fréquence intérieure, si faible soit-elle au milieu du barouf alentour ? Doit-elle au contraire considérer ces indices comme des peccadilles, des états d’âmes, des empêcheurs de faire fortune tranquille ?
- Le quatrième se débat maladroitement dans une démarche complexe, sans pouvoir expliquer ce qui l’anime profondément. Il argumente, parle, explique encore et encore ce modèle qui ne fonctionne pas bien, se débat pour simplifier, sans trouver l’équilibre. Que cherche-t-il à accomplir finalement ?
- Une autre enfin me partage qu’être indépendante n’est finalement pas un rêve de vie pour elle, qu’elle cherche l’autorisation intérieure de retourner vers le salariat. Pourquoi pas ! Qu’est-ce qui gouverne la décision d’un chemin ou l’autre ?
Quelque soit le choix que nous faisons, il existe un prix à payer. Les tours et détours de mes clients restent, sans conteste, des méandres vers la liberté. Rien de totalement évident et pourtant une quête d’autre chose, d’autonomie, de conduite de sa propre vie. L’argent bien sur, mais semble-t-il, pas l’argent pour la fortune, plutôt l’argent pour la liberté. L’argent pour la liberté ne conduirait pas forcément à la case fortune ? Et alors ?
La promesse de fortune s’accompagne-t-elle de fâcheux corollaires ? Qu’est-ce qui est écrit dans les petites lignes en dessous de la promesse ? La fortune pousserait-elle à…
- Renoncer à la liberté ?
- Renoncer à ses valeurs ?
- Renoncer à ce qu’apporte vraiment l’argent ? (Paradoxal, mon cher Watson !)
Un copain me disait… « il y a 3 choses qui intéressent les gens : l’argent, le sexe, la paresse ». Partant de l’idée, observons comment les publicités sont construites. Quelle publicité parle « d’effort, de patience, de confiance, de courage, de détermination, d’échecs à surmonter, d’adversité, et aussi d’alignement, de valeurs, de sobriété, de vie tranquille ».
Nous sommes submergés de clichés du bonheur, dont en tête se trouve sans doute « pour être heureux, beaucoup de pognon ». Pourtant, qui est capable de faire la démonstration de l’équation beaucoup de pognon = bonheur ? Peut-on être riche et heureux, riche et malheureux, pauvre et heureux, pauvre et malheureux ? Ou passe la frontière ?
Je sais, j’enfonce des portes ouvertes.
Peut-être est-ce la rancoeur d’avoir tout perdu, d’avoir été millionnaire à 40 ans et ruiné à 58 qui me fait écrire cet article. Au fait, comment étais-je millionnaire à 40 ans : la chance d’être entré à 29 ans dans une startup à son démarrage, qui a gagné le titre de leader mondial, tandis que mes stock options grossissaient en bourse (avant de s’écrouler avec une division d’un coefficient 30).
Et si ce n’était pas le cas…
Si je me racontais maintenant que la promesse même de fortune est l’une des notes fondamentales de la symphonie qui emporte l’humanité vers sa perte. Développer à gogo, exploiter jusqu’au dernier jus, optimiser à en crever de burn-out, vaincre à en éliminer la concurrence, élargir son emprise, s’appuyer à outrance sur des inepties comme « la fin justifie les moyens », toutes ces idées rabâchées depuis des générations, où nous emmènent-t-elles ? Serions-nous par le plus grand des hasards, conditionnés ?
Loto
Statistiquement, acheter un billet de loto est stupide.
Placer l’argent
Déposer son argent dans un organisme financier quelconque est une garantie d’ignorance de ce à quoi le pécule va servir. Pour avoir exercé le métier de conseil en gestion de patrimoine pendant 9 ans, j’affirme ignorer, dans le détail, où allaient mon argent et celui de mes clients. La plupart du temps, l’argent était placé dans des systèmes d’une telle complexité que même une longue enquête, pour chaque ligne de contrat, n’aurait pu percer tous les mystères. Bref, placer l’argent dans un gros bidule se fait peut-être contre mes intérêts personnels, contre mes convictions, contre la préservation de l’environnement que je vais léguer aux générations futures. Je ne maitrise rien.
Comment utiliser son argent, sans forcément viser la fortune, en étant fier du sens donné à son utilisation ? That is another question !
Marketing de réseau
Dans le marketing de réseau, la chanson est composée avec un talent d’une rare virtuosité, à telle enseigne que certains des plus beaux spécimens engagés dans l’histoire perdent une grande partie de leur discernement. Dans une salle chauffée à blanc par des musiques enthousiasmantes, les champions défilent sur scène pour expliquer que : « pour toi aussi, la fortune est possible ».
Toutes les techniques d’excitation extrinsèque sont utilisées pour que tu sortes groggy de plaisir. Alors, tu embarques, oubliant ces signaux qui viennent de tes profondeurs, des signaux de vigilance que tu renvoies balader en t’appuyant sur les arguments savamment distillés dans la salle : « soyez ambitieux, vous avez un trésor au fond de vous pour réussir. Bientôt ce sera votre tour sur la scène. Vous raconterez votre réussite ». Car la réussite bien sur, c’est la fortune. Quelle évidence ! Un jour que j’étais englué dans un tel système, un copain qui réussissait avec talent me souffla à l’oreille : « tu vois Laurent, nous sommes 250 dans cette salle de formation, en réalité, il y en a 3 ou 4 qui vivent correctement du métier ».
Le job à gros salaire
Quant au CDI avec gros salaire et titre ronflant, voilà ce qu’il cache : des horaires infinis, des stress inégalés, des compromis glissant vers des compromissions insoupçonnables, des luttes de pouvoir sanglantes. Suis-je sévère ? Voulez-vous que je vous raconte quelques sombres histoires ? Posez la question, en profondeur, à ceux que vous connaissez qui jouissent d’avantages considérables. Comment va leur coeur ? Combien osent dire qu’ils sont prisonniers, prisonniers de la cage dorée et contraints par les remboursements d’emprunt, le niveau de vie de la famille, l’inquiétude de ne pas savoir faire autre chose, prisonniers de leur conditionnement ? Le blues du businessman chantée en son temps par Starmania est bien vivant. Vérifiez par vous-même.
Le business internet
Enfin, que penser de l’achat en ligne d’une formation qui promet la fortune rapide, animée par des vidéos clinquantes et des discours ordonnés ? J’en ai achetée, plusieurs. J’ai appris des choses, des tactiques, des outils. Les fameuses « stratégies » n’ont pas porté leurs fruits. Probablement n’ai-je pas appliqué les enseignements à la virgule. Ou alors, peut-être que tout cela n’est pas si simple…
La fortune donc, courage fuyons ? Pas forcément.
Mon propos est ailleurs.
Toutes ces propositions de fortune facile et rapide oublient un fondamental :
qui êtes-vous et qu’avez-vous vraiment envie de vivre, d’être, de trouver, quel est votre graal ?
Qu’est-ce qui calmera ce tourment éternel de recherche de sécurité, d’accumulation (choses, argent, titres), de reconnaissance, cette peur que la vie n’apportera pas ce qui est nécessaire ? Pourquoi acheter le rêve des autres sans savoir si c’est bien mon rêve à moi ? Ces propositions de fortune facile appuient sur le bouton de notre fragilité face au rêve. Les tourments cessent-ils quand on suit ces pistes-là ? Dans mon expérience, non. Peut-être que votre expérience est différente, que la fortune est venue avec la félicité. Peut-être ne suis-je que l’idiot du village.
C’est quoi la liberté, la liberté responsable ? Est-ce un autre rêve impossible ? Est-il possible d’être libre en étant dans le système ? Est-on plus libre à l’extérieur du machin ?
Pourquoi les promesses de fortune me font-elles frétiller ? Elles touchent cet endroit vulnérable, elles flattent l’ego insatisfait. Elles bernent et masquent. Il devient courageux de fuir ces épouvantails car nous vivons depuis 150 ans dans un tourbillon publicitaire qui forge nos biais. Je n’ai pas eu le courage ou la lucidité d’éviter les pièges des sirènes. J’ai suivi les lumières allumées, les manipulations savamment orchestrées. Après les plats magnifiquement décorés, j’ai découvert les goûts amers, les brulures d’estomac, la nausée. Puis j’ai eu la chance de respirer, d’écouter ces rencontres insolites qui m’ont aidé à lever le nez au vent. J’aimais la marche dans la campagne, la montagne, le désert et la ville, j’aimais l’écriture, j’aimais écouter pour soulager, animer pour stimuler. J’en ai fait mon métier.
Ne nous trompons pas : la fortune pourquoi pas, mais une question me parait cruciale à proposer à mon instrument de vigilance…
C’est quoi ma vie ?
Si la fortune vient, bienvenue. Si la quête de fortune fait oublier qui je suis, euheuheuheuh… est-ce une bonne piste ???
Je vous invite à une réflexion, irez-vous l’explorer ?
Prenez une feuille, un crayon, écrivez en haut :
50 instants de bonheur de ma vie
Allez-y, faites la liste. Votre top 50. N’arrêtez pas avant d’avoir atteint 50. Soyez authentique et honnête avec vous-même.
Si avoir pris une cuite avec 4 copains ou vous être promené avec votre chien sur un chemin insolite est un instant de bonheur, écrivez le. Si avoir signé un contrat de 22M€ ou racheté un concurrent pour une bouchée de pain est un instant de bonheur, écrivez-le. Si c’est la conquête de la mairie ou une partie de pêche avec votre papa, écrivez-le. Si c’est une sieste coquine ou votre première réunion en comité de direction, écrivez-le. Si c’est une partie de ping-pong ou l’écriture d’un plan quinquennal, écrivez-le. Si c’est un café en bord de mer ou la ligne d’arrivée du marathon, écrivez-le. Tout est juste, il n’y a pas de mauvaises réponses.
Soyez authentique et honnête. Ne vous racontez pas d’histoire. Ecrivez 50 instants de bonheur de votre vie.
Puis faites l’analyse.
Quelles sont vos conclusions ?
Quelle est la place de la fortune ?
Quelle est la place des petits riens ?
Quel jeu en vaut la chandelle ?
Bravo pour ce témoignage authentique et cette vision pleine de sagesse !
Merci Olivier. J’hésitais à publier cet article car je cogne dans plusieurs directions. Je ne sais pas s’il s’agit de sagesse…
Merci de tes encouragements.